À l’approche des prochaines élections présidentielles, Emmanuelle Wargon, ministre du Logement, a répondu de son bilan le 15 février 2022 devant l’Assemblée nationale. Hellio, acteur de référence de la maîtrise de l’énergie, revient sur les grandes réformes menées sur le dernier mandat en matière de rénovation énergétique des logements.
Marina Offel, responsable des affaires publiques et juridiques Hellio :
« Identifié officiellement comme “stratégique” dans le cadre du plan de relance, le secteur de la rénovation énergétique a été mis en lumière de façon inédite avec plusieurs grandes lois et avancées qui sont à saluer : précision des objectifs de diminution de la consommation d'énergie, création d’un observatoire des rénovations énergétiques réalisées, augmentation des aides financières, simplification de leurs accès, professionnalisation de la filière…Toutefois, trois points relativisent ce bilan :
- Les dernières réformes laissent un goût d’inachevé tant leur mise en œuvre est incomprise - on pense aux DPE erronés qualifiant les logements interdits à la location, au projet de décret MonAccompagnateurRénov' précipité alors que critiqué par l'ensemble de la filière.
- L'hyper croissance du secteur a révélé des problématiques non anticipées : difficultés de recrutement et de formation, insuffisance des financements face aux objectifs… laissant la responsabilité au prochain gouvernement de répondre rapidement aux inquiétudes.
- La crise ukrainienne révèle que les efforts pour baisser notre consommation d’énergie restent insuffisants, puisque nous sommes toujours aussi dépendants aux énergies fossiles importées et impactés par la hausse de leurs prix insoutenables pour les ménages et les entreprises. »
Le secteur de la rénovation énergétique, professionnalisé et désormais identifié comme stratégique
Le secteur de la rénovation énergétique a bénéficié d'un véritable essor politique au cours de ce mandat.
En avril 2018, l’ex ministre de la Transition Écologique et Solidaire, Nicolas Hulot, avait présenté un plan de rénovation énergétique des bâtiments ambitieux pour le quinquennat. Le plan prévoyait notamment de simplifier les aides à la rénovation énergétique en transformant le Crédit d’impôt transition énergétique (CITE) en prime, de garantir un logement performant par le diagnostic de performance énergétique, de relancer la rénovation énergétique des bâtiments tertiaires, etc.
A la suite de la crise des gilets jaunes, le discours de l'ex Premier ministre, Édouard Philippe, devant l'Assemblée nationale le 12 juin 2019 avait confirmé que pour l’acte II de son gouvernement, la rénovation énergétique serait une des solutions prioritaire pour permettre la baisse des factures d’énergie des ménages modestes.
Le secteur est enfin identifié officiellement comme "stratégique" par le nouveau gouvernement dans le cadre du plan de relance post Covid du 3 septembre 2020, avec une part de 7,5 milliards d'euros dédiée à la rénovation énergétique des logements.
Pourquoi la rénovation énergétique a-t-elle été priorisée ?
Lucas Chabalier pour Agir pour le Climat a précisé le 4 mars 2022 sur Batiradio que "la rénovation énergétique est l'investissement le plus important de la transition énergétique".
C’est effectivement un enjeu protéiforme : social pour les gens qui vivent dans des logements à rénover et pour son potentiel d'emplois (360 000 emplois verts), économique (le budget énergétique du bâtiment pèse 30 % pour les communes, plus de 8 % pour les ménages modestes, etc.), environnemental (le bâtiment représente plus de 40 % des consommations d'énergie) et permettant de préserver l’indépendance énergétique nationale des énergies importées de l’extérieur.
Les chiffres du quinquennat Macron
Cela se concrétise aussi par un budget dédié inédit. La loi de finances de 2021 intègre le budget annoncé pour France Relance avec 30 milliards d’euros dirigés vers la transition écologique, dont 7,5 milliards d’euros pour la rénovation énergétique des bâtiments. De même, la loi de finances pour 2022 a permis un budget rehaussé.
Loi de finances 2022 : un budget inédit pour la rénovation énergétique, des problèmes structurels de la filière à résoudre pour la prochaine mandature
Outre la priorisation politique du secteur, le nombre de travaux d’économies d’énergie a augmenté. À titre d’exemple, 1,5 milliard d’euros ont été versés par la prime Coup de pouce Chauffage depuis 2019 pour le remplacement de près de 800 000 chaudières fioul, charbon ou gaz peu performantes par des installations plus économes en énergie et moins polluantes. Bien plus que les années précédentes. En 2019, seules 110 000 vieilles chaudières ont été changées. On estime que les travaux engagés permettront aux ménages concernés d’économiser chaque année 613 millions d’euros sur leurs factures énergétiques. De même, la prime Coup de pouce Isolation a permis d’accompagner plus d’un 1 600 000 travaux d’isolation de toitures ou de combles.
Des réformes structurantes pour la filière de la rénovation énergétique
Plusieurs grandes lois ont permis de grandes avancées pour le secteur.
La loi pour l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN) du 23 novembre 2018, a ainsi permis d'initier une dynamique pour déployer les économies d'énergie à réaliser pour le parc tertiaire. Le décret tertiaire, pris sur cette base, a ainsi obligé les grands bâtiments tertiaires à diminuer leurs consommations d'énergie et à les communiquer régulièrement sur une plateforme en ligne, OPERAT, ouverte aux gestionnaires de bâtiments en septembre 2022.
La loi Énergie Climat, votée en novembre 2019, et la loi Climat et résilience, votée le 20 juillet 2021 fixent les objectifs de rénovation énergétique du logement, en priorité des "passoires énergétiques" dites logements énergivores. Une des mesures phares est la détermination d'un calendrier de 2023 à 2034 d'interdictions de location des logements énergivores classés selon une étiquette énergétique de G à D, via un diagnostic de performance énergétique (DPE).
Passoires thermiques : pourquoi rénover ?
Les lois de finances 2019, 2020 et 2021, actant chaque année du budget de l'État dédié aux aides à la rénovation énergétique, ont permis de simplifier certaines d’entre elles, comme la transformation du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) en MaPrimeRénov’ :
Pour remplacer le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) (conformément au Plan Rénovation annoncé par le gouvernement), un dispositif de prime, appelé “Ma Prime Renov'” a été lancé en janvier 2020. Versée en fin de travaux et forfaitaire, elle permettait de calculer précisément et de diminuer le reste à charge des ménages précaires voulant réaliser certains travaux d’économies d’énergie. Elle a été élargie à tous les ménages dans le cadre du Plan de relance en octobre 2020 à la suite du début de la crise sanitaire. Emmanuelle Wargon rappelait d’ailleurs dans son bilan que “malgré la pandémie, la prime a réussi à toucher un million de dossiers déposés sur la seule année 2021 et 660 000 dossiers engagés” en termes de travaux. Le budget du dispositif “MaPrimeRénov’” a augmenté et atteint un niveau record des 2 milliards en 2021.
Un accompagnement de la professionnalisation de la filière
Votée le 24 juillet 2020, la loi visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux, a posé une interdiction nette du démarchage téléphonique pour la vente d’équipements ou la réalisation de travaux d’économies d’énergie ou de la production d’énergies renouvelables. Elle permet de lutter contre les insuffisances du dispositif encadrant le démarchage téléphonique (inscription sur Bloctel), et protège les consommateurs victimes du démarchage excessif. Les entreprises frauduleuses peuvent être sanctionnées en cas d’abus d’utilisation d’un numéro masqué : les sociétés de rénovation énergétique Almatys et Nrgie Conseil ont ainsi été condamnées à des amendes de 460 000 et 65 000 euros respectivement pour cet acte. Malgré cela, le démarchage téléphonique reste pratiqué abusivement, révélant un contrôle insuffisant de l’État.
Le gouvernement a également renforcé au premier semestre 2020, le label Reconnu Garant de l’environnement (RGE) des professionnels des travaux de rénovation énergétique, label qui conditionne l’obtention de nombreuses aides financières. Le niveau d’exigence a été durci, pour accroître la confiance dans la certification et permettre aux entreprises vertueuses d'être mieux identifiées et reconnues. Concrètement, ce renforcement passe par des contrôles plus nombreux et aléatoires des chantiers, des sanctions plus importantes et diversifiées. Lors de son audition à l’Assemblée nationale sur son bilan quinquennal en matière de logement, le 15 février 2022, Emmanuelle Wargon, rappelait que le label RGE représentait 59 000 entreprises labellisées et la députée des Hauts-de Seine- LREM, Bénédicte Pételle, a souligné 180 entreprises du secteur, sanctionnées en 2020 par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
Mais la qualité moyenne des travaux de rénovation énergétique ne pourra que se conjuguer avec une formation professionnelle plus large. C’est ainsi que Hellio propose, dans la priorité V de ses propositions dans le cadre des élections présidentielles de 2022, la création d’un réseau d’écoles et de centres d’excellence de la rénovation énergétique.
Les dossiers en suspens, les nouvelles problématiques laissées pour le prochain gouvernement et le devoir d’accélérer les efforts
Les dernières réformes laissent malgré tout un sentiment d’inachevé tant leur mise en œuvre est incomprise.
C’est ainsi le cas de la réforme du DPE qui, par la loi portant sur l’évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN), est devenu opposable juridiquement depuis le 1er juillet 2021. Jusqu’ici, il n’était qu’informatif. Ce document qui indique au futur acquéreur ou locataire une estimation de la consommation énergétique d'un logement et son taux d'émission de gaz à effet de serre, notamment à travers les étiquettes énergétiques allant de A (logements propres) à G (logements classés passoires énergétiques), est donc devenu plus lisible et fiable. Le ministère du Logement compte 30 000 DPE réalisés en moyenne par semaine entre 2018 et 2020.
Il indique également que pour les classes F et G (4,8 millions de «passoires énergétiques»), la fiabilisation de la méthode de calcul et les changements de seuils permettront que 800 000 logements jusque-là classés E deviennent des passoires énergétiques. Le Ministère du logement a indiqué dans un communiqué de presse que logements qui entrent dans la catégorie des passoires énergétiques avec la reformé du DPE sont principalement des logements aujourd’hui chauffés au fioul (environ 600 000) et au gaz (environ 200 000). En parallèle, 600 000 logements chauffés à l’électricité et 200 000 logements chauffés au bois ne seront plus considérés comme des passoires énergétiques.
Pourtant, un certain nombre d’erreurs sont survenues suite à l’entrée en vigueur de la réforme du DPE. Le nouveau dispositif présentait des écarts très importants de résultats par rapport à l’ancienne version du DPE et à la réalité du diagnostic. Cette erreur a conduit à la déclassification de nombreux logements vers les classes F et G, ce qui n’est pas sans conséquences puisque la loi prévoit que les logements classés G ou F ne puissent plus être loués respectivement à partir de 2025 et 2028.
De même, le projet de décret MonAccompagnateurRénov’, qui devrait être publié en avril, révèle un fort dissensus de la filière.
A partir du 1er janvier 2023, un accompagnement obligatoire sera mis en place pour les ménages souhaitant bénéficier de certaines aides à la rénovation énergétique de l’Anah. Il a pour objectif de traiter les difficultés rencontrées par les ménages dans leurs projets de rénovation.
Ce projet ne fait pas l’unanimité au sein de la profession. En effet, le rôle d’accompagnateur devrait être ouvert à certains opérateurs privés agréés à compter du 1er janvier 2023. Cet élargissement pose la question du risque de conflit d’intérêt de l’accompagnateur qui sera à la fois prescripteur et réalisateur des travaux.
Outre ces dossiers qui restent laissés en suspens, le secteur qui a connu une hypercroissance, connaît des nouvelles problématiques qui freineront sa dynamique.
Depuis 2017, le secteur du bâtiment connaît une croissance estimée à 4,7 %, en raison de l’essor de la construction de logements neufs et la réalisation grandissante de travaux de rénovation énergétique.
Pourtant, le secteur fait face à une pénurie de main d'œuvre qualifiée. Cette pénurie s’explique par de nombreux freins à l’embauche causés notamment par l’incertitude économique des entreprises, ou encore les coûts liés à l’emploi et au recrutement. Le manque de main-d'œuvre qualifiée pourrait être palliée par l’accompagnement de nouvelles écoles de formation ciblant un public plus large. Hellio a proposé, dans le cadre des élections présidentielles, de créer un groupe de travail chargé d’établir une stratégie nationale sur les métiers d’avenir.
Par ailleurs, le secteur fait face à un important décalage entre les moyens de financements et les objectifs. À l’échelle européenne, dans les plans nationaux pour la reprise et la résilience présentés par les États membres, très peu ont cherché à mobiliser des fonds publics pour attirer des financements privés - afin de soutenir les investissements ou les activités de rénovation à long terme, en s’appuyant principalement sur des programmes de subventions. De même, à l’échelle nationale, les financements publics sont davantage mis en avant et nécessitent d’être appuyés par les financements privés, afin d’arriver à l’objectif de financement du secteur. L’augmentation des investissements privés dans la modernisation du parc immobilier européen est primordiale pour la longévité et la dynamique de la transition vers la neutralité carbone, ainsi que pour son succès final.
[1] Audition d'Emmanuelle Wargon à l'Assemblée Nationale du 21 juillet 2020